La trace de l'infini dans l'art
Si le chant védique fut réellement ce qu'indiquent les Brâhmanas, on doit pouvoir en trouver les traces dans la musique indienne des époques suivantes. Le genre auquel appartient la musique indienne ne s'est maintenu en Europe qu'avec le chant grégorien, qui lui-même représente un "style" de haute antiquité, peut-être d'origine babylonienne (voir Lachmann, Musik des Orients, 1929, p. 9). On constate que les auditeurs européens ont souvent remarqué les suites continues de la musique indienne, et l'absence en elle de crise et de finale. Ainsi Keyserling : "Il n'est pas facile d'expliquer avec des mots ce que signifie la musique indienne... ni commencement ni fin ; c'est l'ondulation et le va-et-vient du cours incessant de la vie" (Travel Diary, III, 30) et Fox-Strangways : "Nous ne savons que dire d'une musique qui est traînante sans être sentimentale, et qui exprime la passion sans véhémence" (Music of Hindustan, p. 2). Il n'y a pas longtemps, un jeune américain de cinq ans, entendant un disque de musique indienne, fit cette remarque devant nous : "Ce genre de musique tourne sans cesse, elle va par-ci, par-là, puis revient." Ce sont précisément les qualités formelles que les Brâhmanas attribuent au sâman védique.
Si la philosophia perennis utilise les images de la spirale, comme c'est le cas pour les tourbillons des eaux intarissables, les possibilités de l'être actualisées par le souffle auroral de la création et la lumière du Soleil levant, on peut bien affirmer que les spirales et les méandres, partout où ils apparaissent dans l'art primitif - c'est-à-dire dans l'art "idéologique" d'un temps où l'homme pensait en termes bien plus abstraits que ceux auxquels nous sommes accoutumés de nos jours - sont les signes et les symboles de ces eaux. Les notions d'infinité, d'éternité, de récurrence, sont impliquées non seulement dans le fameux symbole du serpent qui se mord la queue, en ce sens "infini", mais aussi dans tous ces anciens motifs représentant des formes de serpents et de dragons entrelacés dans lesquels commencements et fins sont confondus, et dans les célèbres dessins d'"entrelacs" et de "noeuds" dont le tracé qui les compose n'a ni commencement ni fin. 
texte issu de : A.K. Coomaraswamy, "Anges et Titans", La Doctrine du Sacrifice, Paris, Dervy, 1997, p. 72-73.


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