L'improvisation dans les musiques du sous-continent indien
La mélodie, l'air et le rythme peuvent mettre en contact avec l'Un qui est tout. Tout comme Ram Prasad qui trouva la Mère Suprême par l'intensité de ses chants, vous devriez consacrer à Lui votre talent. Essayez de l'atteindre à travers la musique.
(Ma Ananda Moyi parlant à une musicienne)
L'IMPROVISATION DANS LA MUSIQUE CARNATIQUE
L'improvisation, lieu de créativité par excellence, tient une place essentielle dans la musique carnatique : c'est à travers ses différentes techniques que le musicien développe son imagination musicale et entraîne l'auditeur dans la profondeur du raga. S'il n'est de toute évidence par possible d'envisager un enseignement systématique des improvisations, elles répondent cependant à des règles précises qui délimitent leurs contours et fixent le cadre dans lequel elles pourront évoluer. Ce sont des éléments qui peuvent être transmis à l'élève.
L'approche de l'improvisation est faite en réalité depuis le début de l'apprentissage : intégrer ses principes passe avant tout par l'écoute, que ce soit celle du maître ou celle de concerts, d'enregistrements. La pratique des exercice de base puis des varnam a préparé aux improvisations solfiées et mélodiques. L'étude des kriti a élargi le champ des ragas rencontrés et si le répertoire compte plusieurs compositions dans le même raga l'élève en aura une "vision" large et sera ainsi à même de le présenter de façon riche dans les improvisations. Le développement des différentes techniques d'improvisation est un processus très long et ce n'est qu'au fil d'années de pratique, y compris de pratique de concert, que le musicien les enrichira, se spécialisant éventuellement dans un type particulier.
Dans un concert, elle représente au moins un tiers de la musique, le reste étant formé d'oeuvres composées. Si kalpita sangita représente la musique composée, manodharma sangita est la musique improvisée : mano signifie "l'esprit", "la pensée" ; dharma est "la loi", "la voie". On peut ainsi considérer l'improvisation comme une voie d'expression de la pensée : immédiate, mouvante, elle saisit et explore cette "idée" qu'est le raga. Le musicien en offre une vision, parmi l'infini des possibles. Celle d'un instant. Celle que son imagination, son inspiration du moment lui inspirent. Elle doit exprimer l'essence même du raga, et non l'émotion individuelle du musicien : le raga n'exprime pas une pensée individuelle mais une pensée universelle et le lien entre la musique et la philosophie indiennes trouve ici sa pleine expression. Le musicien utilise ces outils que sont sa technique et son imagination pour élever l'auditeur vers cette pensée universelle. Il est avant tout un interprète, en ce sens où il est un médium entre cet universel qu'il exprime et cet individu qu'est l'auditeur. Chaque improvisation permet une approche différente de l'exploration du raga : chacune est un outil pour approcher son essence et par là l'essence même du son, nada, le son cosmique.
La musique indienne considère que le son "bouge", change continuellement et c'est cette conception qui détermine la place essentielle de l'improvisation, d'une façon similaire à celle qu'elle occupe dans le jazz.
Si chaque technique répond à des règles de construction, la liberté qu'offre l'improvisation réside dans l'orientation choisie pour explorer le raga : les dimensions latentes que le musicien choisit d'explorer, la brièveté ou l'expansion du développement, son articulation. Le musicien a également la possibilité de choisir la ou les formes d'improvisation, ainsi que le degré de développement de chacune d'elles. Il peut aussi se spécialiser dans une forme particulière.
Le développement de chaque improvisation obéit à des règles strictes qui déterminent une grille de base. Il ne s'agit pas d'un modèle, mais ces éléments forment la base de la structure. L'improvisation ne doit être ni stéréotypée ni répétitive : elle est avant tout une création spontanée, un jeu combinatoire et poétique où le musicien joue de l'identité et de l'altérité et compose avec l'éphémère.
texte issu de : Isabelle Clinquart, Musique d'Inde du Sud, Cité de la Musique / Actes Sud, 2001, pp. 95-97.
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Vous trouverez ci-dessous le lien vers trois articles traitant de la question de l'improvisation dans les musiques du sous-continent indien :
Improviser sans trous de mémoire : le legs de la musique carnatique, par Fabrice Contri
L’improvisation du joueur de tablā dans le khyāl, par Antoine Bourgeau
Le kṛti, une expérience de la forme, par Fabrice Contri.
Le kṛti, une expérience de la forme, par Fabrice Contri.
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