Bahram Elahi, ou le but spirituel de la musique

Au-delà de sa dimension technique et de son usage artistique, la musique est avant tout un langage de l'âme. On la trouve à tous les niveaux de la création sous des formes diverses. A l'origine, la musique fut créée pour susciter l'émotion spirituelle : elle peut toucher directement le coeur (la sensibilité du soi) et faire vibrer l'âme céleste, facilitant ainsi la liaison au Divin pour qui le veut.

L'esprit des êtres est naturellement amoureux de la musique "céleste". Selon certaines traditions, lorsque Dieu créa le corps d'Adam, celui-ci reste longtemps dépourvu d'âme céleste, car celle-ci, dégoûtée par le corps, refusait d'y entrer. Alors un groupe d'archanges y pénétra et se mit à jouer de la musique. En entendant cette musique, l'âme vibra, elle fut saisie par l'extase et entra immédiatement dans le corps.

Comme tout créature, la musique possède des caractéristiques et des effets qui lui sont propres, dont beaucoup sont encore méconnus. Toute créature dotée d'un esprit est sensible à la musique, et celle-ci a un effet étonnant sur les êtres, même sur les végétaux et les minéraux. Certaines mélodies, par exemple, ont un effet thérapeutique ou stimulent la concentration, d'autres, comme les airs militaires, ont un pouvoir galvanisant, etc.

L'effet principal de la musique est de toucher les centres affectifs et émotionnels. Ainsi les prières musicales, accompagnées de mélodies appropriées, font vibrer l'âme céleste et permettent de communiquer plus facilement avec le Divin. Parfois, cette vibration s'amplifie à tel point que l'on peut entrer en extase, être ravi à soi-même et même recevoir des révélations...

Pour qui peut le voir ou le sentir, les vibrations sonores musicales, les "particules" de musique émettent une énergie, et parfois même prennent forme et restituent les "scènes" qui étaient présentes dans la pensée et l'intention du compositeur lors de la création. Si la pensée et l'intention du compositeur étaient d'ordre divin, il s'agira de scènes angéliques ; si elles étaient d'ordre sensuel, l'énergie émise sera d'ordre sensuel, etc.

Les effets engendrés par la musique varient donc surtout en fonction du compositeur, mais aussi en fonction d'autres facteurs tels que l'interprète, l'auditeur, l'environnement, l'instrument et la mélodie :

- L'artiste (le créateur et, dans une moindre mesure, l'interprète de la mélodie) est le facteur le plus important. L'effet de la musique est principalement déterminé par la qualité spirituelle de l'artiste, de laquelle découle son attention. C'est l'intention qui, par-delà les compétences techniques de l'artiste et les qualités esthétiques de l'oeuvre, confère à celle-ci son âme et sa portée. Ainsi, une musique composée dans l'intention de faire vibrer l'âme charnelle n'est pas utile à l'âme céleste et peut même l'indisposer, car elle émet une énergie qui éveille et renforce les instances du ça. C'est également l'intention de l'artiste qui, au-delà de la forme musicale, distingue une musique spirituelle d'une musique purement terrestre. En ce sens, certaines musiques religieuses peuvent n'avoir aucun effet spirituel, et des musiques profanes peuvent exercer un effet spirituel intense. Au moment de la composition et de l'interprétation , une intention positive génère, tel un contact électrique, une connexion avec le Divin. Ainsi l'artiste qui parvient à pénétrer en lui-même et à tourner son attention vers la Source divine pourra recevoir une inspiration du monde spirituel et donner à la musique sa dimension véritable. Plus l'intention est pure et divine, plus l'énergie positive émise est bénéfique et l'effet profond. Le rapport de la qualité spirituelle de l'artiste à sa musique est semblable à celui du parfum à sa fleur : la musique prend son âme de l'artiste.

- L'auditeur : l'effet de la musique sur l'auditeur dépend également de la culture et de l'état psycho-spirituel de celui-ci. Quel est son milieu culturel, quels sont ses goûts musicaux, sa sensibilité, son état du moment, etc. ? La conjonction de ces éléments explique qu'à l'audition d'une même musique les réactions soient variables. Certains, par exemple, auront envie de danser, d'autres éprouveront la nostalgie de plaisirs passés ou la mélancolie d'êtres chers disparus ou éloignés, d'autres encore ressentiront une joie ou une nostalgie spirituelle, pouvant les mener jusqu'aux larmes, et même à l'extase.

C'est le compositeur qui, à l'origine, confère sa portée à une musique, mais l'interprète et l'auditeur peuvent moduler cet effet et influer sur la nature de l'énergie émise par la musique. Ainsi, celui qui écoute une musique sensuelle avec une intention spirituelle peut neutraliser son énergie sensuelle, et inversement. En revanche, si le compositeur a un rang spirituel élevé (maître spirituel par exemple), on ne peut pas influer sur l'énergie émise par sa musique, ni modifier les scènes qu'elle restitue.

- L'environnement ou "l'ambiance" : "l'ambiance" dépend du lieu, du contexte socioculturel, du moment de la journée, des circonstances de la composition et de l'audition (concert, prière, etc.), chacun de ces facteurs ayant un effet spécifique sur l'artiste et sur l'auditeur.

- Les moyens d'émission du son musical : la voix humaine, les instruments, les chants et les sons produits par les animaux, le souffle du vent, l'écoulement d'un ruisseau, etc. Pour qui peut les entendre ou les "voir", les plus beaux sons sont les murmures de la nature et les musiques célestes. 

- La mélodie : les sons, les intervalles, les rythmes. Selon leur agencement, ils prédisposent la musique à toucher plus ou moins les centres affectifs, à faire vibrer l'âme et à produire des effets émotionnels (nostalgie, gaieté, courage, extase...) ou thérapeutiques. Par exemple, certaines mélodies ou intervalles particuliers sont en phase avec les sons spirituels et exercent une attraction plus intense sur l'âme céleste. 

texte issu de : Bahram Elahi, La Voie de la Perfection, Albin Michel, Paris, 1976, pp. 188-192.